Il y a plus de 1200 ans, Maître Sekito
a écrit un poème qui s’appelle le SANDOKAÏ.
Jusqu'à de nos jours, on récite le Sandokaï
dans tous les monastères au Japon et aussi dans beaucoup
de temples zen en Occident. Il y a différentes traductions
du titre Sandokaï. L’une des traductions est : L’harmonie
de l’unité et de la diversité.
Ce texte aborde un problème auquel nous
sommes aujourd’hui tous confrontés : comment peut-on
vivre l’unité et la diversité ? Il y a partout
dans le monde beaucoup de mouvements qui vont contre l’unité
et autant de mouvements qui se dressent contre la diversité.
Notre devoir en tant que Bodhisattvas consiste à vivre
cette harmonie entre unité et diversité, dans la
vie quotidienne aussi, et d’aider ainsi tous les êtres.
En zazen, nous pratiquons les 3 aspects : shikantaza , mushotoku
et hishiryo. Shikantaza veut dire que l’on est vraiment
assis, que l’on ne fait rien d’autre que d’être
assis. Mushotoku veut dire que nous ne poursuivons pas de but
égoïste. Hishiryo veut dire laisser passer toutes
les pensées. Si nous pratiquons de cette façon,
nous sommes vraiment en unité dans le dojo, nous sommes
vraiment une sangha, une communauté harmonieuse.
Alors, que faisons-nous quand nous quittons le
dojo ? Comment vivons-nous la sangha à l’extérieur
du dojo ? Le Sandokaï donne quelques réponses. Le
texte est trop long pour le commenter entièrement. Dans
les kusen, aujourd’hui, je vais aborder seulement quelques
phrases.
-----
Maître SEKITO dit : » Les hommes se différencient
entre les sots et les intelligents, mais dans la Voie, il n’y
a ni Sud ni Nord ».
Après la mort de Maître Konin, se sont développées
2 écoles en Chine, l’école du Sud et l’école
du Nord. Maître Sekito est allé contre cette séparation
: sur la Voie, il n’y a ni Sud ni Nord. Sur la Voie, nous
abandonnons les différences.
Mais, bien que sur la Voie, nous sommes des
êtres humains qui faisons toujours des différences
! C’est nécessaire de faire la différence
entre ce qui aide et ce qui n’est pas aidant. C’est
une distinction que nous devons faire tous les jours dans notre
vie quotidienne. En zazen, nous pratiquons Mushotoku. Dans la
vie quotidienne, nous avons des buts. Les buts du Bodhisattva
sont exprimés dans les 4 vœux et pour ne pas oublier
ces buts, nous récitons ces vœux le matin et le soir
après le zazen, avant de retourner dans le monde civil.
Comme Bodhisattva, nous avons reçu les
10 Kaï, les 10 préceptes qui nous indiquent comment
atteindre ces buts. Lorsque Maître Deshimaru est venu en
Europe, il a dit : » Zen, c’est Zazen ». Mais
il a aussi transmis les vœux. Zazen et les vœux sont
les 2 jambes avec lesquelles nous marchons sur la Voie.
Dans le Sandokaï, il est écrit :
« Clarté et obscurité ne sont ni UN ni DEUX.
C’est comme le pied avant et le pied arrière pendant
la marche. » C’est ainsi dans notre pratique. Zazen
au dojo et notre vie quotidienne ne sont ni UN ni DEUX. Zazen
et les vœux ne sont ni UN ni DEUX. Quand nous avons des difficultés,
nous pouvons toujours utiliser une des deux possibilités.
Nous pouvons être silencieux, pratiquer zazen, nous concentrer
sur notre respiration, notre corps ou bien observer les choses
du point de vue des vœux et des Kaï.
Dans le premier cas, quand nous pratiquons zazen,
nous abandonnons tout, nous devenons UN avec l’instant présent,
sans penser, sans agir, sans parler. Dans le deuxième cas,
nous nous orientons vers les Kaï et les vœux et à
partir de là, nous commençons à penser, à
parler et à agir. De cette façon, nous réunissons
notre vie au dojo et notre vie quotidienne.
-----
MONDO :
Il me semble de plus en plus que le Sandokai va dans le sens
unité-diversité unis comme les doigts d’une
main. Cela me semble vraiment au cœur de la Voie. Est-ce
la même chose de mettre aussi comme ça, ensemble
comme les doigts d’une main, les phénomènes
de l’existence, les épreuves, du dedans et du dehors,
les conflits relationnels, les shiki et le retour constant, permanent
à Ku qui est zazen, et zazen, c’est en même
temps ku et shikis unis ? De plus en plus, il me semble que pratiquer
la Voie, c’est voir constamment tous ces phénomènes
qui sont la vie et les mettre en regard, en miroir, avec Shikantaza,
avec le silence de zazen qui nous libère de ces phénomènes
en les amenant autrement. Je fais référence à
la question de S., où bien souvent, quand il y a des sensibilités,
des tendances différentes comme dans ce dojo, on voit des
tensions parfois très fortes dans la sangha et à
chaque fois, c’est Shikantaza qui permet d’aller au-delà
et de continuer toujours ensemble dans la mème barque de
cette pratique. Je voudrais avoir ton avis là-dessus.
D’abord, je pense que nous apprenons à
partir de nos erreurs. Quand nous réalisons que nous nous
trompons, que nous avons fait telle ou telle erreur, nous apprenons
quelque chose. Donc, on ne peut pas séparer les phénomènes
de l’éveil. Nous nous éveillons à partir
des phénomènes. S’il n’y avait pas d’illusions,
il n’y aurait pas d’éveil. Les deux se conditionnent
mutuellement.
Pour moi, la question qui se pose, c’est
: à quoi on s’éveille ? Je pense qu’on
s’éveille toujours à l’aspect de l’unité.
Si je reprends les mots du Sandokai, c’est la non-séparation,
FUNI, Non-Deux. C’est à ça que l’on
s’éveille. Mais, en même temps, la différence
reste et c’est aussi voir qu’il y a la différence,
qu’il y a toujours l’autre aspect. Il faut toujours
voir les deux aspects. Je pense que notre rôle de Bouddhiste,
hors du Dojo, dans les discussions, les confrontations, c’est
d’essayer toujours de voir où est cette dimension
qui est au-delà, cette dimension qui est unité,
non-séparation. De même dans les conflits au Dojo
: qu’est-ce que c’est ce que nous avons en commun
? Au Dojo, c’est clair, c’est la pratique que nous
avons en commun. A l’extérieur, ce n’est pas
aussi évident, mais notre contribution à la résolution
des conflits en tant que Bouddhiste, c’est de toujours regarder,
voir ce qu’il y a en commun.
Une chose est sûre : on est toujours dans
les illusions ; ça, c’est ce que nous avons tous
en commun. Ça rend humble. Si je vois ça, je me
dis : j’ai une opinion, mais mon opinion vient de mon histoire
; les autres ont aussi une opinion qui vient de leur histoire
. Donc, comment pouvons-nous réussir à harmoniser
ces différences ? C’est ça notre devoir, notre
chemin. Le Sandokai ne nie pas les différences, il parle
des racines et des feuilles. Les feuilles sont différenciées,
mais unies dans leurs différences.
Cela rejoint une question politique d’actualité
: l’union européenne est en jeu parce que les nationalismes
veulent séparer toutes les choses qui tenaient ensemble.
Pour moi, c’est la même chose. Ce n’est pas
une question qui concerne seulement notre pratique, mais qui a
des aspects très, très larges, une question qui
concerne aussi d’autres domaines.
-----
Maître ECKHART, un mystique allemand, qui a vécu
quelques centaines d’années après le Sandokai
s’est exprimé, à partir du point de vue du
Christianisme sur l’Unité et la Diversité.
C’est peut-être intéressant d’entendre
ce qu’il a dit sur ce sujet : « Sois UN, afin de pouvoir
trouver Dieu. En vérité, si tu es vraiment UN, alors
tu resteras UN jusque dans la différence et alors, la différence
sera UNE pour toi et ne pourra en rien te faire obstacle afin
de pouvoir trouver Dieu ».
Si nous vivons vraiment l’Unité, nous pouvons la
vivre pas seulement en Zazen, au Dojo, mais aussi à l’extérieur.
Nous devons toujours voir l’unité dans les différences,
dans la diversité. Nous avons deux yeux : l’un voit
l’unité et l’autre voit la différence.
Quand nous regardons avec les deux yeux, nous voyons l’unité
dans la diversité et la diversité dans l’unité.
Si nous voyons avec deux yeux, nous ne pouvons plus agir, réagir
à partir d’un seul point de vue, nous prenons alors
en considération tous les autres aspects et agissons en
harmonie avec ce qui est.
Lorsque Bouddha s’éveilla, il a
dit : j’ai réalisé l’éveil ensemble
avec tous les êtres. Nous ne pouvons pas réaliser
l’éveil seul. L’éveil, nous le réalisons
ensemble avec les autres.
ALORS REGARDEZ TOUJOURS AVEC LES DEUX YEUX !
|